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N°22 : 1945 - QUAND LES SOCIALISTES MORCENAIS PARTICIPAIENT AUX ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA RENAISSANCE FRANÇAISE

Dernière mise à jour : 17 sept. 2024



Nous sommes en 1945, le « pays vit dans le provisoire » : le Général de Gaulle dirige un Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF). Dans les coulisses, le Conseil National de la Résistance (CNR) « se pose en tuteur moral et politique en sa qualité de représentant des forces vives de la nation ». En effet, De Gaulle ne peut ignorer qu’il doit une partie de sa légitimité au CNR qui souhaite appliquer son programme élaboré en mars 1944. Dès septembre 1944, et en l’absence d’élections, l’idée est rapidement mise sur la table de demander l’avis au peuple. Fin 1944, les comités départementaux mais aussi les comités locaux de libération (CLL) sont mobilisés pour mettre en place les Etats généraux de la renaissance française. Le concept d’Etats généraux est bien connu des Français. On connaissait ceux de 1789 regroupant le clergé, la noblesse et le tiers état, sous la convocation de Louis XVI et aboutissant à la Révolution française, mais on oublie que ce système fonctionnait depuis 1302 à l’initiative de Philippe le Bel qui cherchait, par la consultation, à légitimer ses décisions. Cette assemblée, sans rôle réglementaire ou juridictionnel était composée de députés porteurs des doléances des habitants de leur circonscription. La version de 1945 est plus ambitieuse puisqu’elle vise notamment la préparation d’une nouvelle constitution. Les dix thématiques proposées à la réflexion sont : la renaissance industrielle, le développement de la production et sa modernisation, l’expansion commerciale intérieure et extérieure, l’expansion française et France d’outre-mer, la construction, reconstruction et urbanisme, le progrès social, l’armée nationale populaire et grandeur française, la pensée française et lettres, la jeunesse et avenir de la France, la nouvelle constitution française.


Fondée sur une conception exigeante de la citoyenneté, cette consultation visait à faire du peuple l’acteur direct de son destin social et politique. Le 14 juillet 1945 à Paris, un défilé comprend 2000 membres des Etats Généraux réunis pendant trois jours pour analyser les cahiers de doléances venus de toute la France. Cette consultation nationale de grande ampleur devait être une belle réussite d’expression de la démocratie participative. Pourtant, l’exercice ne sera pas suivi de faits politiques majeurs et aura peu d’impacts directs sur la vie politique française. Des historiens conviennent : « Au niveau national, les propositions contenues dans les cahiers mentionnent la retraite à 60 ans pour les hommes et à 55 ans pour les femmes et les salariés affectés à des travaux dangereux, le contrôle syndical des embauches et des licenciements, l’indemnisation du chômage, l’extension des pouvoirs des comités d’entreprise, etc. Par-delà la reprise de revendications syndicales, l’argumentaire emprunte plus volontiers à l’humanisme et au christianisme social qu’au marxisme. Un indéniable conservatisme perce dès qu’on aborde la politique familiale, le rôle assigné aux femmes ou l’immigration ». Les historiens conviennent aussi que ces Etats Généraux étaient finalement en décalage avec l’opinion des Français, reflétant surtout les revendications des communistes et de leurs alliés. Le gouvernement ne suivra pas les propositions. Pire, les journées se terminent dans l'amertume de nombreux participants devant l'indifférence de la population.


A Morcenx, nos recherches documentaires ont permis de retrouver les cahiers de doléances par commission (politique, militaire, culturelle) renseignés par «la section socialiste de Morcenx réunie le 11 juin 1945» . Dans le village voisin de Garrosse, ce sont « 4 conseillers de la liste antifasciste » qui répondent au questionnaire. Il semblerait que ni à Sindères, ni à Arjuzanx les cahiers n’aient été conservés. Que peut-on lire dans ces documents ? La commission politique du CDL part d’un constat : « Le peuple veut du neuf : il sent partout l’incohérence, le désordre, l’injustice ; le peuple de France veut une vraie République démocratique ; le peuple de France veut que soit modifiée la Constitution de 1875 dont les faiblesses ont permis l’emprise de plus en plus grande des puissances d’argent sur toute l’Economie Française et ont rendu le sort du travailleur de plus en plus précaire et misérable ». A Morcenx, les socialistes répondent qu’il faut une nouvelle constitution avec un Président de la République élu au suffrage universel, ils militent pour la suppression du sénat, pour l’élection des députés à partir de l’âge de 25 ans et l’instauration du droit de vote à 21 ans (contre 18 ans proposé dans le cadre des Etats Généraux).


Pour les militaires, les socialistes morcenais s’opposent au droit de vote. Pour l’enseignement, ils sont partisans du principe de gratuité intégrale de l’enseignement à tous les degrés mais demandent en contre partie que soit introduite la notion de sélection. Ils proposent aussi qu’une formation professionnelle soit dispensée « en usine » dès l’âge de 16 ans. Enfin, ils émettent de vives critiques contre « les profiteurs de guerre », ceux qui bénéficient de fourniture de bois pour reconstruire dans l’urgence des baraquements afin de reloger les sans-abris. A Garosse, les réponses sont strictement similaires à celles des Morcenais. A croire que déjà, à l’époque, les villages avaient vocation à fusionner…


Ce que l’on peut constater aujourd’hui c’est une sorte de parallélisme des formes avec les sujets et les actes d’hier, avec la persistance des mêmes interrogations, avec l’existence des cahiers de doléance au plan national, et avec le même essoufflement qui précède les grands changements propres à l’exercice de la démocratie. Si à l’époque l’accouchement de la constitution de 1958 a été précédé de contractions de la société douloureuses, aujourd’hui force est de constater que l’on est rentré dans les mêmes spasmes avec une période d’instabilité ministérielle défavorable à tous les groupes politiques. Mais, au sortir de la guerre de 39-45 la reconstruction de la France a eu lieu, accompagné par le retour difficile à une économie florissante.


Comme on le voit le destin d’une nation est souvent couplé à celui des petites communes qui  composent le pays. Alors, si hier les morcenais s’interrogeaient sur des thématiques bien précises et faisaient des propositions, pourquoi n’en serait-il pas ainsi demain ?



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