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N°46 : GÉNÈSE D'UNE FLEURON ÉCONOMIQUE LOCAL (épisode 4)




UNE AVENTURE HUMAINE ET SYNDICALE - épisode 4 -


Ancien secrétaire confédéral de la CGT, Roger Rap a rédigé un numéro exceptionnel sur l’histoire humaine de la mine d’Arjuzanx dans Les Cahiers de l’Institut d’Histoire Sociale Mines-Energie publié à l’été 2024.

Ce témoignage, sans concession, permet de mieux appréhender l’histoire du fleuron économique local que constituait l’ensemble centrale et mine : « le personnel a enduré un long calvaire pour compenser les grossiers défauts de conception, les imprévisions voire les falsifications coupables des promoteurs ». S’il justifie le bien-fondé d’un projet d’extraction de lignite, le syndicaliste constate que celui-ci n’a jamais été complètement opérationnel.


Les opposants au projet sont considérés comme des « passéistes », les favorables comme voulant en tirer « gloire et profit ». Il fait ainsi référence à la croisade des propriétaires d’Arjuzanx contre les élus locaux socialistes influents mais incompétents dans les domaines techniques évoqués. Il résume ensuite les difficultés rencontrées : gérer conjointement une mine et une centrale, l’obligation de recourir aux compétences exclusives des Allemands et à leur matériel peu adapté aux spécificités locales…


En conséquence de quoi, ce fut un chantier perpétuel (matériel souvent en maintenance, colmatage des chaudières, talus instables…) avec une production inférieure de moitié aux objectifs pendant les trente années d’exploitation. Pour le personnel se fut aussi une mission délicate : danger permanent, pluie, froid, boue, bourrasques de sable en été… « malgré la dureté du travail et tous les avatars subis… », » ce qui a été obtenu est le résultat de la volonté, de l’abnégation et de l’opiniâtreté du personnel ». Projet ambitieux, lignite de très pauvre qualité, absence de matériel français…et le choix de construire des chaudières  « comme des cathédrales »… » emmitouflées dans l’amiante »…


Roger Rap insiste sur le déficit de prévision : les changements de lieux d’exploitation ont nécessité des transferts des engins, et donc des manipulations dangereuses. Il dresse un tableau peu encourageant : « Arjuzanx c’était le mineur errant dans la nuit à la merci du moindre obstacle : puisard, glissade dans la fange noirâtre et gluante pour dégager à la pelle, un rouleau bloqué. Ce pouvait être aussi un soleil torride en été, tout aussi exténuant. C’était le chaudronnier enfermé dans un broyeur à lignite, très souvent à la chaleur, la poussière, caparaçonné des moyens de protection : casque, masque, tablier, bottes et gants en cuir, sans oublier la ceinture d’athlète pour changer les blindages ou les pales de près de 50 kg qui s’usaient si vite malgré leurs aciers spéciaux, sous l’effet du sable. C’était le rondier, harnaché comme un cosmonaute pour tenter avec un « ringard » de 10 m de long ou plus, avec le reste de l’équipe en soutien, de décrocher les premiers amas de mâchefer pour éviter l’arrêt de la chaudière ». Plusieurs ouvriers laisseront la vie, écrasés par les engins, ensevelis par les terres meubles et bien entendu par l’amiante.


Avec la défense des conditions de travail, la CGT a été aussi un « lanceur d’alerte » sur les conséquences provoquées de la fermeture de la centrale : « au moins 1200 emplois dépendant directement du site, 50 millions de francs qui s’envolent pour le commerce morcenais, une baisse de la population, des fermetures de classe, disparition de la taxe professionnelle représentant le tiers des recettes de la commune ». Roger Rap souligne l’investissement du maire Scognamiglio pour ralentir la fermeture et trouver des projets alternatifs, créateurs d’emploi à proximité. Malgré les mobilisations intersyndicales (avec son apogée en 1986), la centrale et la mine vivent leurs dernières années.


Avec la fermeture, c’est un grand plan de gestion des ressources humaines qu’il faut mettre en oeuvre (départ à la retraite, mutation, reconversion, formation) et EDF doit vendre 423 logements (70 deviendront des HLM).


L’auteur revient sur le sujet de l’amiante (1300 tonnes comptabilisées) qui est encore dans l’actualité : « Sur les 1 323 agents passés par Arjuzanx, 131 victimes dont 43 sont aujourd’hui décédés des conséquences de l’amiante, dans d’atroces souffrances avec des vies écourtées souvent de plusieurs décennies ; sans compter les asbestoses et les plaques pleurales avec diminution de la capacité respiratoire pour beaucoup d’autres ». En fait, peu de personnes soupçonnaient ce lent empoisonnement. Il faudra attendre 1980 pour que soit évoquée la dangerosité des fibres vagabondes respirées aussi bien dans la centrale qu’à la mine (freins et embrayages des engins).


Les résultats de la fermeture ? « Malgré l’apport de nombreux retraités encore verts mais passifs pour l’emploi, la commune de Morcenx perdait plus de 1.000 habitants »… . Encore de grandes promesses pour les emplois de remplacement ; avec d’importants moyens développés dès la décision de fermeture au début de 1987 et les larges épaules d’EDF, entreprise publique que l’on pouvait solliciter sans retenue : certains étaient plus affairés dans ce domaine qu’ils ne l’avaient été pour la prolongation de la centrale, le bilan était largement déficitaire par rapport au passé ou aux ambitions affichées. Mis bout à bout, on arrivait péniblement à 300 emplois créés… ou en perspective de création. Sur la vingtaine d’entreprises prétendument créées en 1993, qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Une malheureuse fabrique de panneaux qui n’en finit pas de changer de propriétaire, à tel point qu’on en perd son nom, qui a 80 employés pour combien de temps encore? Pour le reste, les entreprises démarchées et financées, se sont évanouies dans le temps, une fois consommées les subventions, pour certaines dans des opérations frauduleuses relevant des tribunaux ».


Concernant la valorisation du site abandonné, le syndicaliste explique que la tâche fut rude tant les terres étaient devenues hostiles à toute plantation. Il se félicite de la création d’un musée « mémorial » tout en regrettant les projets d’aménagement évoqués par les élus : « Arjuzanx n’est quand même pas Saint-Trop… »

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